• Roule, roule la patache,

    Fouette, fouette, cocher au bras léger.

    Dring, dring  chantent les clochettes glacées

    Pour avertir au loin les valets endormis,

    Loin, loin , au bout d’une allée de platanes,

    Dans le château noyé de brume,

    Aux terrasses bien vite éclairées.

     

    Le bruit du roulage réveillera aussi

    L’aboiement furieux des chiens

    Dans les chenils grillagés.

    Ah ! les jolies demoiselles

    Aux doigts gantés de soie,

    Posant avec une esquisse délicatesse

    Sur le marchepied déplié

    Un escarpin brodé de roses !

     

    Roule et grince le cabriolet

    Et l’évêque endormi sur ses patenôtres,

    Là voici bienvenue, l’éternelle aventure

    Des gens qui vont se rencontrer,

    Des messieurs au gibus moiré,

    Des rombières attifées d’engrelures,

    De dentelles au fuseau,d’aigrettes courroucées.

     

    Vous tous, écoutez le bruissement des soies,

    Sentez les odeurs de chapon dressé :

    Le maître reçoit avec cérémonie

    Le fiancé joufflu et débonnaire

     Recommandé par Tante Simone.

    On ne le connaît pas, mais on en dit beaucoup :

    Il a de grandes terres et bien de l’entregent.

     

    L’oeil effronté de la promise un peu fanée

    Le jauge car c’est du blé sur pied ;

    Elle  minaude comme une rosière

    Sortie récemment  du couvent.

    Essuyant ses yeux secs,

    Ployant son cou grassouillet,

    Elle dira oui à tout, et puis merci maman.

     

     

     

      


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  • Il y eut un soir, il y eut un matin,

    Mais tout d’abord le soir,

    Avec le froid, le vent, la peur.

    Ainsi la journée du Dieu créateur

    S’oriente vers la plénitude de la journée

    Qui monte et s’annonce,

    Effaçant peu à peu notre nuit

    Où l’homme faible est menacé.

    Et le jour qui viendra s’orientera

    Vers le flamboiement divin.

     

    Ainsi, il y eut un soir, et tout d’abord le soir,

    Et de nouveau le matin s’ouvrant sur la pâleur de l’aube

    Et la joie du soleil levant, 

    Des heures de lumière et de chaleur,

    Et puis, encore, encore, le déclin du jour,

    L’ombre et la terreur qui s’étendaient sur la nuit.

     

    Pour protéger la vie,

    L’homme a bien dû bâtir :

    Paille, terre, roc ou brique,

    Car la nuit sombre était remplie de frissons.

     

    Pour acclamer Ton nom,

    Pour faire entendre le carillon de ton appel

    Résonnant sur les campagnes,

    Des murs plus hauts,

    Des murs plus solides furent élevés.

    Pour que Ton nom soit proclamé,

    Pour qu’en un même lieu

    Soient réunis tes petits ou grands troupeaux

    Réunis autour de la Table sainte,

    On a bâti avec courage, avec science, avec foi

    Des églises accroupies, sombres comme des grottes.

     

    Et puis, comme on cherche le visage de Dieu dans les nuées

    On a bâti des cathédrales touchant le ciel,

    Elançant des flèches perdues dans les nuages,

    Ouvrant de hautes fenêtres

    Pour qu’entrât la lumière du jour,

    Qui chassait l’obscurité tragique.

     

    Pierre par pierre, on a monté des nefs vertigineuses

    Où les ferrures se font lianes

    Pour porter légèrement les vitraux colorés.

    Les murs se sont ouverts sur des rosaces

    Lançant des rais lumineux

    Qui font danser sur les transepts

    Et sur les chrétiens agenouillés dans la nef

    Des arabesques d’or et de rubis,

    Des voiles de brocart et de soie.

     

    Les pampres de lumière courent à l’assaut des colonnes.

    Fleurs et feuillages,

    Entrelacs et fleurons,

    Guillochis et frises de pierre se croisent

    Et s’entremêlent en ondoyant,

    Quand la lumière, filtrée par les verres ardents,

    Se diffracte en poussières colorées,

    Qui dansent joyeusement,

    Comme des insectes battant des ailes au soleil.

     

      


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  • Je suis né dans le feu,

    Le feu ardent qui mêle en grondant

    Sable et cendre de bois,

    Sable et cendre de fougère,

    Sable et cendre de hêtre ;

    Je suis né de la salicorne brune

    Qui pousse au bord mouvant des océans.

     

    Je suis né dans le feu qui met en fusion

    La potasse, la soude, la silice,

    Et les dangereux oxydes métalliques

    Qui me donnent couleur :

    Le cobalt pour le bleu des vierges,

    Le cuivre pour le vert et le rouge des évêques

    Dont le doigt ganté montre les cieux entr’ouverts.

    Le jaune glorieux de l’antimoine

    Auréole les saints aux yeux démesurés,

    Ou désigne les traîtres dont le regard s’enfuit.

     

    Je suis né du sable léger

    Qui glisse entre les doigts,

    Je suis né de la cendre poussiéreuse

    Qui vole au moindre vent :

    Tant de fragilité pour tant de splendeur,

    Pour l’orgueil des puissants

    Ou la gloire de Dieu.

     

    De grandes lueurs accompagnent les saints 

    Dont la vérité se perd avec les légendes :

    Ils sourient sous le fer du bourreau,

    Marchent pieds nus sur des charbons ardents,

    Chantant des hymnes pieux.

    Ils soulèvent des tempêtes,

    Ils apprivoisent les loups,

    Leur corps en extase se lève à deux coudées du sol.

     

    Torturés, les membres rompus,

    Ils rendent grâce

    Du bonheur d’être parmi les élus.

    Il y a des bergères et des princes,

    Des soldats romains et des moines exsangues.

    Leur nombre est infini

    Et couvre le firmament ;

    Un perpétuel miracle les protège :

    Ils triomphent de la mort et de Satan

    Dans la lumière divine des vitraux

    Dont la clarté relie la terre au ciel.

     

    Je suis création fragile mais éternelle,

    Née de cendre et de sable ;

    Il faut veiller sur la moindre de mes fissures,

    Surveiller l’ossature de mes plombs,

    Me couver comme un malade alité

    Et parfois, m’ôter du lieu sacré

    Pour des soins intensifs en ateliers.

     

    Les pluies acides de ce siècle

    Ont attaqué mon verre qui se corrode

    Et, par une ironie bien triste,

    Si l’indifférence des hommes me laisse à l’abandon,

    Je redeviens ce que j’étais :

    Du sable qui s’effrite entre les doigts. 


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  • Au temps où…

    Dans le parc fleuri

    De myosotis et de soucis,

    Nous étions d’infatigables gamins

    Se poursuivant avec des cris de joie…

     

    Au temps où…

    Nous marchions fièrement

    Dans les rues de Berlin,

    Portant précautionneusement

    Les lampions dansant de la Saint-Martin…

     

    Au temps où…

    Mâchant les cerises juteuses

    Chipées aux pies voleuses

    Qui nous piquaient les mains,

    Nous nous prenions pour les rois du jardin…

     

    Au temps où…

    Les escaliers pentus

    Et les étages sombres

    Résonnaient de nos folles poursuites…

     

    Au temps où…

    Déguisés de draps blancs,

    Nous rugissions de peur,

    De nos voix enfantines

    Que l’on croyait funèbres

    Mais restaient cristallines…

     

    C’était le temps où…

    Nous étions fragiles et tout petits,

    Mais plus forts et plus savants

    Que tous les dieux puissants

    Qui dominent les cieux… 


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  • Dans la ville endormie

    Pas un passant,

    Et nulle vie :

    Un grand silence

    Qui se balance

    Sur le fronton

    De la mairie.

     

    Dans les rues sans couleur

    Pas un passant,

    Pas un moteur :

    Une ombre douce

    Qui s’alanguit

    Sur les mousses

    Des toits gris.

     

    Dans la nuit noire,

    Pas un passant

    N’ouvre sa porte :

    Comme chaque soir

    Nous irons boire la solitude,

    Avec la cendre

    De nos mémoires. 


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